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Drone / ronde
Ce matin, tu es déjà branchée à la première poche de chimio, celle qui va te faire somnoler et te coller les neurones entre eux. Tu ouvres ton calepin et notes quelques idées en attendant de pouvoir aller sur tes îles indigo. C’est le mot drone (est-ce parce qu’il rime avec neurone ?) qui apparaît. Il te faudra trouver les mots justes pour parler de ceux qui envahissent le ciel de Gaza, du massacre sans fin en dessous, du voilier Madleen (prénom qui vient de l’hébreu Magdala « celle qui évoque un souvenir ») arraisonné par Israël. Oui, il faudra. Il faudra aussi parler du ballet de drones qui a noirci le…
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Exploit
Il a plu cette nuit tu n’as rien entendutu as dormi le temps d’un Soulier de satinsans que se soulèvent tes paupières tu soupires de satisfaction ton deuxième café tu le prends assise sur le rebord de la fenêtreles hirondelles tracent déjà des cercles sous les nuageset sur le toit de la dépendance le rouge-queue continue de télégraphier « huit huit huit » il t’a accueilli hier à ton retour de chimioun tête à tête à grand écartson énergie obstinée secoue ta fatigue te voilà prête à randonner le long du chemin de halage avec M. elle te dit qu’elle a réservé une place pour la pièce de Claudelen la cour d’honneur du palais des papes…
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Tu refermes chaque journée tôt inutile d’aller quémander un rab d’énergie quand les batteries sont à platen échange tu ouvres la suivante au moment même où un premier oiseau est-ce le même chaque matindonne le la à tous les autressoudain c’est concert dans l’airpour appeler le soleil qui se fait beauun nuage s’est installé sur le fil électriqueaux premières logestoi tête et pieds nus dans ta ruetu laisses cet instant te vivifier
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Cheveux au vent
Petite poucette dans tes jardinstu te suis à la tracecheveu après cheveuque les mésanges ou les oies sauvagesqui seraient en train de finaliser leur niden profitentP. ton coiffeur persovient raser ton crâne gratis cet après-midi
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Déjà demain
Tu serais bien restée dissimulée dans les hautes herbes comme l’oiseau canadèche ou comme les gouttes de pluie, immobile sur la feuille d’arroche. Mais demain c’est mardi, et le mardi c’est chimio. C’est reparti pour ta résidence secondaire. Tu sais ce qu’il n’y aura pas : ta coloc de chambre qui, elle, a une pause, ta frangine qui, la semaine dernière, pendant que tu reçevais toutes les poches de nectar, courait dans Rouen pour trouver la crème solaire, le lait pour le corps (tu avais déjà utilisé un tube de chaque), les câbles pour les nouveaux écouteurs et téléphone et de larges tuniques en lin. Elle a improvisé un défilé…
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Ton amour était sans limitesson désir aussiqui faisait s’envoler vos reins et vos cuisses tu aurais aimé que ça dure éternellement Biffures des pages 28 de Minuit dans la ville des songes, Dernier arrêt avant l’automne et Je me souviens de tous vos rêves de René Frégni
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(im)mobilité
Tu as mis en place un rituel qui te plaît : tu as posé un transat sur l’allée du potager qui mène au cabanon des semis. Là, chaque matin, au milieu de la végétation, tu t’assieds avec ton 2ème café, tu regardes monter la nouvelle journée. Tu ne sais pas ce qu’elle va te proposer, une longue randonnée comme mardi soir au retour de ta 3ème chimio, une balade vélo comme hier matin ou une irrésistible et longue sieste bercée par la pluie sur le velux comme hier après-midi. Tu écoutes ces rythmes nouveaux, tu aimerais y lire une certaine régularité. Tout se rejoue chaque jour. L’accepter avec l’élégance de…
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Et de deux !
Taxi-wonder-woman vient de te déposer chez toi. Après toutes ces heures passées dans un fauteuil médical à attendre que les poches du nectar, une à une, s’écoulent en toi, tu as besoin de rééquilibrer la journée. Tu enfiles tes pompes de rondo et pars. Le tonnerre gronde au loin. Tu as toujours aimé marcher au bord d’un orage. Alors que tout semble à l’arrêt dans l’attente de la pluie, toi tu avances d’un bon pas. Tu grimpes sur les coteaux de Seine et laisse cette deuxième journée de chimio (plus que dix) remonter. Elle t’a offert tant de douceurs :Le rendez-vous avec l’esthéticienne qui dédramatise tout ce que tu dois…
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Remplir ses sacs
Jour 8, Chimio 2 : c’est déjà demain.Taxi-wonder-woman et son vaisseau départemental aussi bruyant qu’un hôpital -les bips dès qu’elle dépasse la limite de vitesse d’un km la font bien marrer- t’attendront devant la biquetterie. D’ici là, tu prépares tes sacs. Dans le premier, tu glisses l’aprépitant, la lidocaïne et une salade de riz, haricots azuki, concombre, basilic sacré, fleurs de ciboulette (les repas à l’hôpital ont décidément un goût de surgelé qu’on aurait oublié de passer au four). Dans le second, tu enfournes pêle-mêle tout le doux que cette semaine t’a offert. Une randonnée nocturne avec ton morveux, le soir de la première chimio. Tu étais sous cortisone, ton…
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En vies
Aujourd’hui est un jour 1 Jour 1 pour ta chimio : au bout de combien de mardis, pourras-tu parler de rituel ? Peut-être dès la semaine prochaine.Pour l’instant tu prends tes marques : au premier étage, le hall dessert l’hôpital de jour, le labo d’analyses sanguines et la cafét’. Là, Josette fait des mots croisés et Paulette des mots mêlés (les prénoms n’ont pas été modifiés).Toi, tu mêles ta présence à ces lieux nouveaux et tu croises des lettres lumineuses : place aux envies. Mettre un nouvel espace : place aux en vies. Sur la table, tu as posé le roman Les mains vides. Ce titre parle de toi aussi.Jour…