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dans la maison vide
Ça y esttu es allée marcher d’un bon pas (t’assurer quotidiennement que ton corps est toujours bien là après quinze chimios)P. l’infirmier vient de booster tes globules (il est aussi sympathique que T. Ngijol dans la série Empathie que tu regardes les lundis soir)tout est en ordre et la journée t’appartientdehors rafales vents et aversesla mauve arbustive aussi souple que le roseaule parasol écroulé entre la sauge et les framboisierstu laisses la fenêtre ouverte et retournes t’allongerle chat à tes pieds ne bronche pastu vas enfin poursuivre le grand plaisir d’hierla lecture de La maison vide de Laurent Mauvignierroman de haute voltige (merci de ne pas déranger avant demain)
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(in)nombrable
le nombrable :fin du plâtre dans 192 heuresdernière chimio dans 432 heures(enfin et enfin bis) l’innombrable:les flocons de fourmis volantes dans le vent(tourbillonner de joie)
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Sinistrité, n.f.
La pré-rentrée est passée puis la rentréetu es restée dans la marge blues et nuagestu poursuis ton entraînementécrire de la main gauche et redevenir lisibletu acceptes la lenteur inconnueà l’exemple de la sceliphronbrin de foin après brin de foinelle affine son nid sous la table rouilléeécrire de la main gauche et gagner en aisancetu inventes un mot pour dire cela : la sinistritéOn te dit qu’il n’est pas beau, alors tu le défends : du latin « sinistra » main gauche, construit comme dextérité du latin « dextra » main droite. Qu’y peux-tu si les Romains après avoir tracé un cercle au sol disaient aux dieux : allez-y, envoyez les oiseaux pour répondre à…
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Chut.e
Que de voeux loupéstu n’as pas entendu tes cils tomber
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casse-bras
Pourtant la randonnée avait été belle : ton énergie à nouveau là qui avale le dénivelé, ton insolence sur les côteaux de Seine qui oublie tous les revers des derniers mois. Tu débordes d’une joie que tu connais bien. Avant de redescendre, vous vous asseyez sous l’arbre de la côte des deux amants. Un coureur dix fois descend, dix fois remonte. Vous admirez sa résistance et son aisance. Tu repenses à la seule fois où tu as monté ce sentier abrupt en courant. Tu as cru y laisser tes mollets et tes poumons. Tu ne sais pas encore que tu vas te souvenir longtemps de ta descente : ton pied…
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Aller à la clim’
À la limite de la nuit, tu descends marcher. Le monde vient tout juste de s’éveiller. À ta gauche, la lune, à ta droite, la naissance d’une lueur. Tu vas d’un bon pas. Tu croises un pouillot véloce et un camion-poubelle. Il collecte tout le recyclable de vies insouciantes.Quand tu remontes sur ta colline, tu fais la course avec le soleil qui se lève. Il va taper fort aujourd’hui. Tu ne veux plus l’uppercut, tu aspires à préserver la douceur réapparue.Tu songes que plus tard tu iras à la clim’. Tu tiens cette expression de ta grand-mère qui, les jours de grande chaleur au bord de la Méditerranée, disait malicieusement…
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8.8
Depuis toujours, tu aimes les chiffres. Gamine, tu les visualisais dans ton esprit, en fermant les yeux intensément, pour réussir un exercice de calcul mental. Il ne fallait en lâcher aucun, ne pas les laisser déborder, les contenir, les faire valser rapidement. Y parvenir, c’était dénouer un noeud sans les mains. Tu te souviens du jour où un collègue de maths te dit au détour d’une clope que le mot chiffre vient de l’arabe sifr « le vide » et de celui où tu découvres l’OuLiPo. Vendredi dernier était un 8 août. C’est la première fois que tu regardes cette date. La veille, tu es montée à l’arbre parce que dix mois…
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no(r)ma(n)de
ce matin tu mets dans ton sac une gourde de la poésie CoPo ta PomPom sister en Mongolie une bananetoutes tes viestu pars jusqu’au sauleson tronc presque horizontal au dessus de l’eautu t’assieds là tout est calme à l’extérieur à l’intérieur
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Plus tard…
Depuis deux jours, à ton réveil, les nausées sont làtu n’as pas envie de descendre te faire couler un café et te griller une tartinetu restes allongéeattendant qu’elles partent par le velux ouvert sur le jour qui se lèvepour mieux les ignorer tu lisBrouillard mais ça se dissipera d’Albane Gellé« pendant que des amis / viennent / et nous aiment / et nous accrochent / des parachutes sur le doson ne veut rien / entendre / mais ils insistent / la vie insiste »Plus loin qu’ailleurs de Chaboutéil te ressemble ce gardien de nuit : il voulait la grande aventure en Alaska mais sa jambe dans le plâtre l’invite à s’asseoir sur…
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Et de douze !
Un deux troiste reste encore neuf foisquatre cinq sixtu poursuis le synopsissept tu es en mietteshuit et neuftu te bluffesdix onze douzetu finis pépouze Tes globules et tes plaquettes sont toujours là, tes jambes aussi qui t’ont portée à vélo ou à pied et les jours où tu aurais bien aimé tout arrêter pour retrouver ta vie d’avant. Douze chimios traversées vaillamment avec ta garde rapprochée. Tu n’espérais pas le tapis rouge ou la ola du personnel aligné dans l’étroit couloir, des douzième fois il en traverse tous les jours. Mais quand même… Au lieu de cela, tu as rendez-vous avec une oncologue junior. C’est reparti, elle t’annonce la suite…